Chapitre 1.4
(musique de la séance : Massive Attack-Girl I Love You dans le lecteur Deezer.)
Il l'avait trouvée recroquevillée, quasiment dans la même position où il l'avait quittée sur l'écran quelques heures auparavant. Il l'avait portée délicatement dans le lit pour ne pas la réveiller. Il l'avait couverte, avait ramassé le carnet resté par terre, il l'avait lu attentivement il lui faudrait restituer le contenu tout à l'heure.
Cette pensée l'inquiéta. C'est lui qui avait trouvé cette idée du journal de bord et il avait dû batailler pour qu'elle soit acceptée, or il ne pouvait que constater que pour l'instant cela ne servait à rien. Bien sûr il fallait attendre plusieurs jours avant d'en conclure qu'elle était perdue et que sa mémoire ne reviendrait pas, même si personnellement il n'avait plus aucun espoir.
Il rangea le plateau, finalement elle avait mangé, il était satisfait. Il se demanda si elle avait aimé sa cuisine, elle qui appréciait tant les bonnes choses, les meilleurs restaurants, les plus grands vins.
Le souvenir d'un éclat de rire après qu'elle eut vidé une bouteille d'un grand Bordeaux le perturba un instant. Il évacua vite ce souvenir douloureux, elle s'était moquée de lui ce soir là et il avait compris qu'elle le méprisait. Ça l'avait énormément vexé, et il avait été surpris de ressentir une telle frustration. Elle avait remarqué alors son air abattu, et l'avait raillé auprès des autres convives. Elle pouvait être provocatrice, juste par plaisir vengeur. Il se souviendrait toujours de ce regard, celui de la folie orgueilleuse que rien ne peut arrêter.
Il ne devait pas se laisser perturber par ses pensées, il finit son rangement, remplaça la nourriture et ferma la porte sans même la regarder.
Les rues étaient encore un peu animées, malgré
le vent qui soufflait en rafale depuis le début de la journée. Il passa
devant le bureau de tabac de nuit, poussa la lourde porte et acheta une
cartouche de cigarettes.
Le buraliste jovial, en lui rendant la
monnaie, lui souhaita une bonne soirée. Il marmonna en guise de
remerciement qu'il allait en avoir bien besoin.
Le buraliste éclata de rire, lui disant de positiver : après tout c'était les grandes vacances d'été, une saison propice aux amours.
« Mais oui c'est ça, et vous trouvez que c'est normal qu'il fasse si froid en été, vous ? » lâcha t-il d'un ton provocateur.
- Ben je n'y avais pas pensé ! Mais c'est par cycles, un bel été, un été moche vous voyez. Mon père m'a parlé de l'été, attendez c'était en quelle année? 1946, 1951, je ne sais plus trop, ma mémoire me joue des tours ses derniers temps, ça m’inquiète un peu pour être honnête. Je devrais consulter peut-être. Vous ne croyez pas ?
- Ça ne sert à rien, de toute façon vous êtes déjà mort. »
Il n'avait pas souhaité s'attarder à une discussion, il claqua la porte laissant le buraliste la bouche grande ouverte, surpris par ces derniers mots.
Il ne voulait pas être en retard, le Professeur ne supportait pas que l'on ne soit pas ponctuel.